Dina, 11 ans, chef de famille (deuxième partie) / 21 mai 2008

Publié le par Taramana

 

Dina se lève habituellement aux alentours de 6 heures. Il fait en sorte de ne pas faire de bruit afin de ne pas réveiller son petit frère qui se lèvera un peu plus tard. La grand-mère se réveille souvent en même temps que son petit fils aîné.

Dina va tout d’abord prendre une douche. Celle-ci n’est pas tout à fait comme chez nous. Il s’agit en fait d’une réserve d’eau dans laquelle il puise l’eau avec un récipient en plastique pour s’arroser. L’eau qui stagne dans une sorte de grande jarre provient du fleuve, le Mékong. La jarre est parallèlement alimentée par l’eau de pluie qui arrive via les gouttières de l’immeuble. Le lieu de la douche est insolite. Il est situé à une des sorties de l’immeuble, à peine masqué par un rempart en tôle ondulée. Par pudeur et à l’instar de tous les habitants de l’immeuble qui utilisent ce système de douche, Dina utilise un krama qu’il entoure autour de sa taille avant de prendre sa douche et qu’il fait ensuite séché sur un fil à linge.

Le programme de la journée est rythmé par l’emploi du temps de l’école. En alternance un mois sur deux, Dina va à l’école soit le matin entre 7h et 11h du matin soit l’après-midi de 13h à 17 h. Il n’a ni le temps ni l’argent pour prendre des cours privés.

Ce mois-ci, Dina se rend à l’école publique en deuxième partie de journée.

Je l’ai donc suivi plusieurs matinées de suite pour voir comment il occupait son temps. Après avoir pris un petit déjeuner frugal (souvent une soupe de riz) et attendu que son petit frère Kakada se réveille, Dina commence par nettoyer sa « maison ». Dix minutes doivent lui suffire pour plier soigneusement la moustiquaire, balayer le sol, suspendre au mieux les objets qui peuvent l‘être, histoire de gagner un peu d’espace sur les 2 m² de surface restante puisque la moitié est déjà occupée par la paillasse qui sert de lit, à vrai dire bien peu confortable. Dina entreprend alors toute une série de petites tâches auxquelles se joint volontiers Kakada pour lui prêter main forte. Ils vont ramasser du petit bois pour la cuisson du riz. L’eau non potable puisée dans la jarre doit être bouillie avant de servir à cuisiner. Dina a également la charge de laver le linge de la famille. Au savon et à l’huile de coude. Il va ensuite faire le marché. Le budget est serré. Pas question de traîner aux stands poisson, encore moins à celui de la viande. Ce matin, le panier n’est pas bien lourd : 300 g de riz catégorie 4 (la moins chère bien entendu), quelques liserons d’eau, un navet ou ce qui y ressemble étrangement, une carotte, une petite bouteille de sauce soja, un sachet d’épices, un sachet de chips, quatre friandises gélatineuses que grignotent les enfants à longueur de journée en guise de coupe faim. « Panier de la ménagère » = 3000 riels. Un euro = 6400 riels. Dina vient de faire ses courses pour moins d’un demi euro. Et encore, avec la crise mondiale du riz, le budget nourriture a sensiblement augmenté. Avec la même somme d’argent, il aurait pu acheter 600 g de riz il y a un an contre 300 g désormais. Ces 3000 riels vont donc servir à nourrir 3 personnes pendant deux jours complets en dehors des petits déjeuners pris à proximité de leur cahute.

Je peux facilement compter les côtes de Dina et Kakada. Ils sont maigres et pas bien grand pour leur âge. Leurs cheveux sont fins et cassants avec des reflets roux, signe d’un manque indéniable de protéines dans leur ration quotidienne. J’apprends que quelques voisins compatissants leur portent de temps à autre des œufs issus de leurs poules, des poissons pêchés du jour ou bien encore des fruits, souvent des bananes, des mangues lorsque c’est la saison.

Le budget mensuel du foyer est estimé aux alentours de 45 dollars par mois (environ 30 euros). Pas de loyer, pas de frais d’électricité mais l’accès au point d’eau où Dina se ravitaille pour la cuisson du riz et les douches de toute la petite famille se monnaye 2 dollars par mois. Il faut ajouter le budget nourriture, les frais scolaires et l’achat de quelques articles indispensables tels savon, bougie, charbon de bois quand les deux frères ne trouvent plus assez de combustible pour faire cuire le riz. Autant dire qu’il n’y a pas beaucoup de place pour le luxe. Les vêtements qui se réduisent à quelques tee-shirts, shorts et tongs sont souvent récupérés ou achetés au prix les plus bas. Même troués et en mauvais état, il faudra attendre encore un peu avant de les changer.

45 dollars, ce n’est pas grand-chose mais cela reste une somme à trouver. Dina ne doit donc pas perdre de temps. Si ses petits camarades peuvent rester au lit ou aller s’amuser, lui n’en a pas vraiment la possibilité. Il est de toutes les petites corvées du quartier. Ce matin, il doit transporter des sacs de sable pour la construction d’une petite maison en brique. Une heure et demie de travail sans relâche va lui rapporter 1500 riels (~ 0,25 euros). Il me fait savoir que c’est bien payé en dépit de l’effort fourni. Il est 10 heures. Il décide soudainement de prendre un de ses sacs de jute blanc sale et de partir dans les rues adjacentes pour aller ramasser les déchets recyclables.

Je lui emboîte le pas.


A suivre.

J.D

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