Une figure incontournable du bidonville de Boeng Salang : Mister Meng
Ce gamin n’a rien pour être promis à un brillant avenir. Il vit avec ses parents, ses 2 grandes sœurs et son petit frère dans une cabane en bois de 20 mètres carrés le long de la voie ferrée du bidonville de Boeng Salang. Le père est cordonnier et la mère vendeuse de gâteaux sur le marché de proximité, leurs revenus cumulés ne dépassant guère les 50 dollars par mois. Quand on enlève le loyer et l’électricité, il ne reste que 30 dollars * pour faire vivre la famille. Autant dire que Meng ne doit pas être trop exigeant sur ses tenues vestimentaires.
En niveau 4 **, fréquentant l’école Russey Keo situé à un bon kilomètre du quartier, Meng a tout juste les 500 riels *** qu’il doit donner tous les jours à son professeur pour pouvoir entrer en classe. L’école est officiellement gratuite, mais avec un salaire gouvernemental avoisinant les 30$ par mois, les instituteurs se voient contraints de demander une modeste contribution journalière de tous leurs élèves pour gagner, bon an mal an, 100 à 120 dollars par mois. Pas de quoi pavoiser…
La maison de Meng fait peine à voir mais elle n’est pas la seule dans le quartier, loin de là. Quand on s’aventure à l’intérieur, il faut emprunter un petit passage en bois assez étroit en prenant garde de ne pas perdre l’équilibre sous peine de tomber un bon mètre plus bas face contre terre, ou plutôt face contre purin. Car la plupart des maisonnettes en bois sont construites sur des sortes de pilotis précaires au dessus d’un marécage boueux, plus ou moins odorant, alimenté par les pluies tropicales qui s’étendent au Cambodge de mai à novembre. La porte franchie, ne cherchez pas à vous asseoir, il n’y a pas de chaise. Pas de table non plus. Moi qui ne supporte pas la position en tailleur plus d’une minute, je sais d’avance que je ne vais pouvoir honorer très longtemps l’invitation de la maman qui vient tout juste de débarrasser une natte de quelques détritus. Un discret ventilateur à qui il manque la grille de protection tente de faire fuir les nuées de moustiques qui ont accaparé les lieux via les trous béants qui jalonnent les lattes en bois du plancher. En l’espace d’une minute, une chaise en plastique en provenance d’un voisin et un ventilateur de meilleur aspect me sont gentiment offerts. Me voilà ainsi soulagé; pas longtemps en fait lorsque que je m’aperçois que Meng me tend un grand verre de thé ou d’une infusion pour le moins douteuse. Par politesse, je le remercie de son geste et fais mine d’y tremper les lèvres, convaincu à ne pas boire ce breuvage où surnagent ci et là toutes sortes de petits coquillages et autres larves de je ne sais quel insecte. Si je devais le renverser malencontreusement, ça ne servirait à rien, on m’en resservirait un autre dans la seconde. Je ne trouve rien de mieux que d’y retremper furtivement les lèvres et de le poser discrètement par terre en priant que personne ne me fasse remarquer mon oubli volontaire. Si je venais à boire cet élixir, il y a fort à parier que je ‘’tiendrais le siège’’ une bonne semaine.
Meng a toujours le sourire. C’est ce qui me frappe chez ce genre de gamin à qui il manque tout mais qui ne se plaint de rien. A 10 ans, il porte toujours les mêmes habits et marche le plus souvent pieds nus. Ses pantalons lui arrivent aux genoux, ses chemises à l’origine blanches, sont d‘un gris sableux avec quasiment autant de trous que n’en compte le plancher de son cabanon. . Il n’a aucune pièce réservée à ses études si ce n’est par terre sur une natte à la lumière de l’unique néon du plafonnier de la pièce. Ne pouvant prétendre seule l’éclairer pour faire ses devoirs, il ne peut donc décemment pas lire ou écrire après 18h30, à la nuit tombée.
Et pourtant. Sans être un excellent élève, il fait partie des plus assidus au Centre Taramana, devenu un peu, sa deuxième maison. Même malade, il n’y raterait pour au rien au monde une seule journée de classe. Toujours au premier rang, Meng fait preuve d’une volonté sans faille pour participer activement au cours de français. La détermination de ce gamin à vouloir apprendre la langue de Molière contraste avec le scepticisme que l’on serait tenté de développer à ce sujet. Considérant les conditions de vie dans lesquelles il évolue, il serait étonnant qu’il ait les moyens de poursuivre de longues études; plutôt plus enclin à suivre le chemin de sa grande sœur qui a abandonné sa scolarité à 12 ans, maintenant vendeuse de gâteaux sur le marché local aux côtés de sa mère.
Meng est une figure dans le quartier. Tout le monde l’apprécie. Toujours poli, il se rend serviable à tout moment avec le sourire qui illumine sa sympathique petite bouille de chinois. Si vous passez à Boeng Salang et que vous l’apercevez, il ne manquera pas de se précipiter vers vous et de vous saluer… en français s’il vous plaît, sa nouvelle langue favorite.
Quand à savoir si vous accepterez un verre de thé chez lui, libre à vous…
* 20 euros ** CM1 *** 10 centimes d’euro
J.D