Il n’est pas un peu « chkout* » le prof ? / 12 juin 2008

Publié le par Taramana

Après 8 mois de cours assurés par des intervenants suisses, français, belges, tous bénévoles, 3 nouveaux professeurs cambodgiens dispensent l’apprentissage de la langue de Molière aux  enfants volontaires et motivés du quartier de Boeng Salang.

La classe Taramana implantée au coeur de la vie du village accueille quotidiennement 60 enfants qui se repartissent en 3 groupes plus ou moins homogènes en âge et en niveau. L’emploi du temps de notre petite école qui jouxte la voie ferrée prévoit donc 25 heures de français par semaine.

 

Aujourd’hui, c’est mercredi. Par chance, un professeur ne peut assurer sa tranche horaire du mercredi matin entre 10h et 11h15. Je dois donc me sacrifier… pour le remplacer tous les mercredis. Je suis en réalité ravi de pouvoir donner le cours. C’est toujours un plaisir d’enseigner à ces enfants assoiffés d’apprendre une autre langue que la leur. On ose espérer que la maîtrise du français leur sera d’une quelconque utilité dans le futur, même si rien ne le garantit à ce jour.

 

Si je n’avais pas été médecin, j’aurais bien aimé être enseignant. C’est quand même un chouette métier. Surtout dans les conditions où les enfants sont volontaires, motivés, assidus et respectueux en toutes circonstances. Je ne suis pas certain que je tiendrai le même discours et brandirai la même vocation si je devais enseigner en France…

 

Les enfants semblent ravis que je sois leur prof du jour. En fait c’est difficile à dire car ils sont toujours contents et de bonne humeur. Ils arrivent toujours en classe, sourire aux lèvres, en me lançant des « Bonjour, tcher, comment ça va ? » (tcher veut dire en fait ‘’teacher’’ soit professeur, car il n’est pas poli au Cambodge d’appeler un adulte par son prénom).

Ils vont certainement ne pas tout comprendre de ce que je vais leur raconter mais ils savent à l’avance qu’il va y avoir de l’animation. Ils commencent à me connaître, les bougres et les bougresses.  Il est vrai que je ne peux m’empêcher de faire le clown au tableau à la moindre occasion. Ils ne sont pas vraiment habitués aux excentricités qu’offrent dans de rares circonstances leurs  professeurs khmers. Pour ma part, j’alterne facilement les moments de sérieux et de scènes théâtrales délirantes dont le contraste déclenche très vite quelques éclats de rire. Il faut dire qu’ils sont bon public. Il me suffit à peine d’accélérer mon écriture au tableau blanc ou de prendre une mine faussement indignée pour que les élèves soient tous à partir en fou rire. Apprendre en s’amusant tout en gardant une certaine ligne de conduite, c’est quand même plus sympa que des cours magistraux souvent bien ennuyeux. J’essaie également de leur donner confiance en les encourageant et en les félicitant autant que possible.

 

Les animaux ont la côte à Taramana. En tout cas c’est le thème du cours de français d’aujourd’hui. Rien de mieux que de faire les dessins au tableau pour se faire comprendre. Mon poulet ressemble plus à une vache qu’à une volaille. Qu’à cela ne tienne : me voilà à imiter la démarche d’un gallinacé, la plume en moins et le mollet plus ferme ! Ça me rappelle aussitôt mon incroyable aventure lors de l’inondation sur le Wat Phnom (cf article précèdent « Inondation au Wat Phnom : ça c’est Cambodge ! ») où j’avais bien amusé les deux officiers dans leur guérite dont un avait abandonné  son poste pour se retrouver  en guenilles et me ramener à la guest house où je réside.

 

Je me rends compte que je suis bien meilleur imitateur que dessinateur. Les enfants se prennent au jeu de reconnaître le cri des animaux. Certains viennent à mon renfort pour les matérialiser au tableau. Une trentaine de bébêtes plus ou moins grosses accaparent soudainement la classe, enfin tout au moins par leur cri et leur représentation graphique plus ou moins ressemblante. La taupe et la carpe ne sont pas de la fête. Pas assez bruyantes. Les habitants voisins de l’école commencent à croire qu’un zoo vient d’ouvrir dans le quartier…

 

Je décide d’organiser dans la foulée et devant l’enthousiasme enivrant des élèves une petite compétition. Ils adorent ça les compétitions. On forme deux groupes avec un vainqueur arrivé le premier à 5 ou 10 points. Aujourd’hui équipe de Darith contre équipe de Minea. Celle qui est la plus rapide à deviner l’animal imité marque un point. Il faut bien entendu se souvenir du nom de la bête en français dont je commence à effacer le nom au fur et à mesure que les mémoires s’affinent.

La fourmi, la tortue et le chat rencontrent un franc succès et sont au hit parade des animaux reconnus en l’espace d’une demi seconde. Par contre, des moues interloquées se forment devant mes prestations évoquant araignée, papillon et girafe. Certainement plus parce que leurs prononciations s’avèrent difficiles que parce que je ne suis pas arrivé à grimper au mur ou à étendre mon cou suffisamment long.

Cette fois-ci, c’est l’équipe de Minea qui l’a emporté. D’une courte tête…!

 

C’est ce genre de petits moments drôles et savoureux qui me fait croire que grâce à des enfants comme Minea, Chandy, Vanny,Sopheaktra, Dara, Meng et plein d’autres, l’avenir du Cambodge pourra peut-être assuré. Et puis, même si on peut penser à tort ou à raison que  la plupart des enfants ne liront pas du Proust ou du Balzac, ils auront en tout cas passé une bonne heure de rigolade. C’est toujours ça de pris.

 

A savoir qui du prof ou des élèves aura le plus rigolé ?

 

J.D

 

 

 

* chkout = fou

 

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P
Honnêtement, sans des moments comme celui là, je pense que vous seriez en droit de "peter un plomb"...<br /> Le rire est le meilleur dérivatif, du moins a mon sens...difficile de faire ce que vous faites, difficile d'alterner moments de tristesse et moments de rire, difficile de vivre loin de sa patrie...dur dur comme situation.<br /> <br /> Faudra penser a se reposer un peu de temps en temps docteur! Comme vos émotions transpirent de vos récits on sent bien ici que c'est le rire qui cache les larmes...évidemment les situations de rires sont réelles et ça nous fait plaisir ici de voir que ces enfants ont de la joie de vivre malgré tout...<br /> Nous vous réitérons notre soutient (y compris moral) pour les situations difficiles. Nous sommes avec vous pour les rires et également pour les pleurs.<br /> Mais merci beaucoup pour ces images de bonheur, vous êtes un bon prof et le français leur servira tôt ou tard!<br /> Le plus important, c'est de multiplier ces situations et moments de joie, il doivent pour vous, pour eux et pour nous, prendre le dessus sur le reste.<br /> Nous y arriverons tous ensemble.<br /> <br /> Bravo à l'équipe de Minea, on attends la revanche!<br /> <br /> Aurélien
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